Les boutiques des années 90
Retour dans un univers enchanteur

Un article de Manuwaza
On ne saurait aborder l'Histoire du jeu vidéo sans évoquer l'un des principaux vecteurs de popularité du « huitième art », à savoir les boutiques. Les nouvelles générations n'ont en effet pas eu la chance de connaître certaines places fortes du monde vidéoludique, lieux de partage et d'intense passion...
De nos jours, boutique de jeu vidéo rime avec grandes chaînes de distribution : Game, Micromania et autres Game Cash ont remplacé les Okaz' Game et autres Game Over, magasins indépendants jouissant tous d'une chose que l'on ne retrouve hélas aujourd'hui que trop rarement : une âme. Lorsque vous entrez dans l'un des points de vente susnommés, vous êtes tout de suite frappé par l'intense aseptisation des lieux! L'ordre semble être placé tout en haut du cahier des charges, peut être pour répondre à une certaine notion de conformisme probablement véhiculée par les grandes surfaces ou magasins comme la FNAC. Les rayons, scrupuleusement étiquetés rendent la navigation efficace. Un client saura ainsi tout de suite où chercher l'objet de sa convoitise. Mais est-ce là le plus important? Dans les années 90, les boutiques respiraient le désordre. Attention, ne commettez pas l'erreur de voir ce mot comme un terme péjoratif! Par désordre, j'entends un agencement des lieux atypique, basé sur des boites de consoles vides trônant fièrement sur le haut des étagères, par divers goodies jonchant les parois, par des téléviseurs placés sans logique apparente, et diffusant des images de jeux mettant l'eau à la bouche des enfants émerveillés en pénétrant dans cette caverne d'Ali-Baba.
La seconde modification de taille vient du personnel peuplant ces boutiques. Depuis les années 2000, celui-ci se compose de simples employés. Loin de moi l'idée de tirer une règle générale, mais force est de constater que nombre de ces personnes sont de simples vendeurs, payés pour écouler les stocks et non pour partager leur passion au travers d'une longue discussion. Un magasin n'appartenant à aucune chaîne était organisé différemment. La plupart du temps, le personnel ne se composait que du propriétaire, généralement un passionné ayant eu un beau jour l'idée de rentabiliser cette passion en en faisant son métier. Il s'agissait de quelqu'un capable de vous parler pendant une heure de son jeu préféré, de déclencher un débat houleux quant au vainqueur de la guerre des consoles, de vous exposer en détails le fonctionnement d'une puce Super FX, véritable révolution technologique à l'époque de sa sortie. En bref, plus qu'un simple vendeur ayant bénéficié d'une formation dans ce domaine, le tenancier des lieux était avant tout un joueur, et une discussion avec lui était, sinon utile, du moins extrêmement riche en enseignements. Par ailleurs, cette relation permettait de se livrer à d'âpres négociations afin d'obtenir une réduction sur l'achat d'une cartouche. J'ai le souvenir d'être tombé amoureux d'U.N. Squadron simplement en voyant sa jaquette. Étant étiqueté à 60F, seule une dizaine de francs me séparait de l'acquisition du précieux Graal. Après avoir vérifié que l'ami qui m'accompagnait ne disposait pas de la somme requise, le propriétaire des lieux finit par me céder l'objet de ma convoitise à prix réduit.
Se rendre dans un magasin, c'était également l'occasion de demander de plus amples informations sur les dernières rumeurs en provenance des magazines. A l'heure d'aujourd'hui où Internet permet au monde entier d'être informé de manière quasi-instantanée de tout ce qui se passe sur le globe, cela peut paraître plutôt abstrait mais une boutique était à l'époque un lieu d'échange des dernières informations sur les jeux les plus prometteurs, faisant saliver les gamers au moyen de quelques rares screenshots distillés dans les pages d'un magazine, bien loin de la presse généraliste qui ne voyait alors pas l'intérêt de relayer la chose.
Puisque l'on aborde le thème du lieu de rencontre, j'ai d'ailleurs le souvenir, à la fin des années 90, d'une boutique nantaise baptisée Séquence News qui avait profité de la sortie de Pokemon dans nos contrées pour organiser des sessions de jeu chaque semaine, dans lesquelles les joueurs pouvaient échanger leurs bestioles ou se défier entre eux en reliant leurs Game Boy via un câble Link. Ce genre d'initiatives étaient courantes à l'époque, et semblent avoir totalement disparu de nos jours. Un magasin n'est désormais plus qu'un lieu de vente, et la passion a hélas déserté les lieux au profit de la simple relation client/vendeur.
Nous sommes en 2014, et finalement peu de magasins répondant aux critères exposés plus haut ont su subsister, laissant le champ libre aux chaînes impersonnelles. Quelques irréductibles subsistent néanmoins, et voir, dans l'un d'entre-eux, un gamin de dix ans s'intéresser à une cartouche NES est une image faisant chaud au cœur!
Article publié le 01/09/2014