Le cercle vicieux de l'uniformisation
Le nivellement du jeu vidéo est en marche

Un article de Tanuki
J'ai récemment lu un texte parlant des écoles de jeux vidéo. On y lisait des critiques positives quant à la formation générale puis spécialisée dans différents corps de métiers liés à l'industrie du développement. Si je ne remettrai nullement en question le bien fondé de l'existence de telles écoles, je dois dire que la lecture de ce texte m'a inspiré quelques réflexions sur le pourquoi du comment de la différence notable de ressenti qu'on peut avoir entre un titre développé il y a vingt ans et un jeu tout juste édité. Pour aller au bout de ma pensée, je me demandais si ces écoles n'étaient pas, en plus des contraintes liées aux actionnaires et investisseurs, les responsables de l'espèce de nivellement que connait le jeu vidéo depuis… disons l'avènement des consoles 128 bits.
Une école c'est bien, mais est-ce que quelque part, l'enseignement commun donné à chacun ne résulte pas en une forme de pensée, d'objectif, de réflexion commune voire unique?
Associées aux impératifs marketings, aux demandes des investisseurs et aux attentes des actionnaires, ne peut-on voir ces écoles comme un danger? Je pense qu'une bonne création résulte de contraintes et de système D associés à une imagination bien orientée. Or, avec les consoles modernes, les contraintes sont de plus en plus réduites et le système D devient d'autant plus obsolète que chaque branche de la création d'un jeu possède ses spécialistes. Il ne reste en bout de course que l'imagination pour donner une âme à un titre, l'âme de son créateur, l'âme de l'inspiration initiale. Si cette âme peut exister, n'est-elle est pas forcément moindre en présence que si elle avait résulté également des contraintes techniques? C'est pourquoi je parle de jeux plus "artisanaux" quand je compare la "old gen" et la "next gen".
Voyons ça plus concrètement!
Auparavant, la taille mémoire des cartouches ou disquettes représentait une contrainte. Elle accompagnait celle de la limite technique due à la puissance brute de la machine sur laquelle on développait: couleurs limitées en nombre, tailles des sprites limitées en pixels ou nombre de plans autorisés restreints. Les développeurs, pas spécialisés pour un sou dans une branche plutôt qu'une autre, alternaient les fonctions à l'intérieur même d'un projet. Ils pouvaient s'occuper des graphismes comme des animations ou de la musique. Ils participaient à l'élaboration des concepts quand ils ne faisaient tout simplement pas tout, tout seuls! Il est évident que de telles conditions de travail débouchaient sur des problèmes. L'histoire de certains développements célèbres nous confirme qu'il fallait échafauder parfois des ruses de sioux pour parvenir à ses fins! Il fallait ici réduire les détails sur le sprite d'un personnage clé, là supprimer quelques passages d'une aventure et ailleurs remplacer du texte japonais et rédigé en idéogrammes par un texte plus simplement rédigé en syllabaire. Loin d'être une sinécure le développement devait représenter un casse-tête et pourtant…
Oui pourtant ce qui en résultait revêtait un caractère intemporel, très personnel et surtout, comme je l'ai déjà dit: artisanal.
Devoir supprimer tout ce qui pouvait être superflu, en murissant ses choix, en les opérant à regret, devoir optimiser ses idées, leurs représentations, être obligé de faire des consensus, tout cela conduisait à une forme de pureté simple que nous ne retrouvons plus aujourd'hui. Le corollaire avec l'école de jeu vidéo est simple. Puisque l'on a supprimé les contraintes techniques, il faut laisser aux développeurs la liberté de s'exprimer et utiliser la puissance à leur disposition pour créer des titres mettant l'imagination à profit. J'irais jusqu'à dire qu'il faudrait que la puissance des machines soit exploitée jusqu'à devenir insuffisante, de façon à obliger les créateurs à "bidouiller" comme auparavant pour retirer la quintessence de leurs idées. Mais bien évidemment cela ne se fait pas ainsi!
L'école de jeu vidéo crée des spécialisations et les formate de par sa base d'enseignement commune à chacun. Les problèmes ne peuvent plus apparaître que du point de vue de bugs ou de restrictions anecdotiques et les élèves formés aux diverses méthodes de programmation/résolution de problèmes iront forcément dans le sens de la modification du code source, non pas pour le simplifier ou le sublimer, mais tout simplement pour le rendre conforme! La conformité n'est-elle pas synonyme de nivellement? Le créateur ne peut plus être un bidouilleur puisque tout est à sa disposition, les spécialistes de tel ou tel domaine se chargeront de mettre en application ses désirs. Je parlais d'exploitation de puissance il y a quelques instants. Dans une certaine mesure cela se fait, regardons donc les prochains blockbusters à venir: Gears Of War 3 et Uncharted 3. La puissance est bien au service du jeu mais la façon dont elle le sert montre qu'elle n'est utilisée qu'avec une envie de conformisme d'une part et de solution de facilité d'autre part, les deux s'imbriquant de manière inextricable. Pour être plus clair, la puissance sert la montée en tension et la représentation des situations. Je parlais de solutions de facilité parce qu'utiliser la puissance à ces fins est bel et bien ce que tout le monde fait, de manière simple, en reprenant des codes narratifs ou artistiques (enseignés dans les écoles justement ou absorbés par expérience personnelle en visionnant des films par exemple). Se servir des possibilités d'une PS3 ou d'une XBOX360 pour mettre le héros dans une situation de plus en plus périlleuse, annoncée par un crescendo graphique et sonore, avant de rétablir une ambiance plus sereine, c'est le comble de la facilité et même si un titre le fait de manière exceptionnellement bonne, comme le font très certainement les exemples cités, ils ne font que copier, encore et encore ce qui s'est fait, jusqu'à se copier eux-mêmes. Les développeurs "créatifs" ne sont donc plus véritablement des créateurs mais des "metteurs en scène" utilisant les savoir faire variés de leurs équipes pour réassortir des idées éculées toujours plus visuelles, toujours plus sonores. En d'autres termes, un bon titre à l'heure actuelle, c'est un titre fort en intensité, grandiloquent et qui en jette plein la vue. Aussi bons soient-ils, ils ne seront jamais aussi parfaits de par leur essence que leurs ancêtres! Uncharted 3 ne sera jamais qu'un Shinobi ou un Rolling Thunder boosté et Gears Of War ne sera rien de plus qu'un Golden Eye 64 revisité. Il n'est pas étonnant dans ces conditions,que les vieux joueurs parlent de titres qui peinent à se renouveler sans pour autant parvenir à définir forcément ce qui cloche. Ce qui cloche, je le répète, c'est que l'âme du jeu, qui provient de mures réflexions sur ce qui le caractérise et lui est indissociable, se volatilise au profit de caractères intéressants mais plus terre à terre: beauté, intensité, sonorité.
Dans ces conditions et même si les nouvelles contraintes évoquées, qui sont compréhensibles au vu des enjeux, justifient des formations pointues et très spécialisées, l'existence d'écoles du jeu vidéo est inquiétante car elle représente un frein paradoxal à la créativité. Elle remplace définitivement la créativité pure par la créativité des mises en scène. A ce titre et puisqu'elles transforment, accompagnées des actionnaires et des marketteux, le métier de développeur, autrefois métier solitaire puis métier d'équipe réduite, en métier d'industrie, elles sont dangereuses à mon sens!
Article publié le 04/10/2011
Les commentaires pour cet article avant le 23 février 2014
Posté par Chevels le 11/10/2011
Rien de tel qu'un développeur de garage, galérien et bidouilleur, en effet. C'est vrai que c'est vraiment ce qu'il manque de nos jours. Quand je vois les crédits des jeux actuels, aux génériques longs et interminables, je comprend bien pourquoi beaucoup de jeux actuels manquent de caractères. Trop d'intervenants, du coup trop d'apports subjectifs différents pour un même jeu et finalement l'idée 1ère, celle du créateur, ne transpire plus à travers l'écran. Vive les développeurs qui n'ont pas peur d'y aller seul et autres petits studios comme on en trouve plus aujourd'hui.
************************************************************
Posté par MaitreMigraine le 04/10/2011
Il fait mal à la caboche ton article, mais bonne réflexion ^^
************************************************************