Definition du jeu gamer
Un cours du professeur Tanuki

Un article de Tanuki
On entend, depuis la sortie de la WII de Nintendo, beaucoup parler dans le milieu des fans de jeux vidéo de Casual et de Gamer (autrefois Hardcore gamer). Il semble évident de prime abord de différencier les personnes en utilisant ces termes : un Casual gamer joue peu et à des jeux qui lui sont dédiés tandis qu’un vrai joueur, le gamer, joue beaucoup et avec des jeux qui lui sont également dédiés. Tout le problème revient donc à différencier les jeux puisqu’il semble y avoir une catégorie dédiée à chaque type de joueur ! C’est cette distinction que nous allons tenter de faire dans ce petit article. Vous pouvez détacher vos ceintures, nous allons y aller en douceur, étape par étape et peut-être pourrons nous définir une « théorie » du jeu gamer ?!
Est-ce vraiment la peine de réfléchir à ce sujet ?
Il suffit de poser la question suivante : une simple définition de la durée de jeu nécessitée par un titre suffit-elle à classer ce titre dans une catégorie ?
Prenons l’exemple de Wii Sports toujours sur WII. Le simplissime bowling proposé dans cette compilation sportive suffit à prouver que le temps nécessaire pour maîtriser un titre n’est pas synonyme de jeu gamer. En effet, il est possible comme dans tout bowling classique, de chercher à obtenir un score parfait en ne réalisant que des Strikes (faire tomber toutes les quilles d’une série en n’utilisant qu’une boule). Réussir une telle tâche demandera au joueur de passer un temps considérable sur le jeu, au moins autant d’heures que passeront certains gamers sur des titres jugés plus « sérieux ».
On voit qu’il n’est pas si simple de définir rapidement un critère de classification, le sujet peut donc en valoir la peine !
Quel critère peut donc rentrer en jeu ?
C’est ce que nous allons tenter de voir !
Basé sur l’exemple précédent nous pouvons déjà conclure que l’effort caractérise la pratique du jeu vidéo. Revoyons donc le cas Wii Sports ! Notre joueur devra tenter de ne jamais gâcher une boule et pour ce faire devra toujours viser avec précision les quilles que l’expérience lui aura montrées décisives ! Cette visée nécessitera de maitriser l’angle de son bras par rapport au téléviseur de son point de départ en arrière du torse jusqu’au devant de l’écran et la vitesse de déplacement de ce même bras sur cette trajectoire. Pour terminer, il lui faudra relâcher au bon moment le bouton lançant la boule. Vu de cette manière il ne semble pas moins méritant de jouer à Wii Sports que de pratiquer Gears of War sur Xbox360. On pourra pourtant rétorquer que là où notre bowling réclame un ou deux boutons et une maitrise de trajectoire, Gears of war réclame d’appuyer parfois très vite sur un minimum de huit boutons ! La gloire du gamer passerait donc par le nombre de boutons sur lequel il appuie ! Le problème se pose alors de revoir notre jugement sur certains vieux titres toujours considérés comme archétypes de jeux pour joueurs endurcis ! Super Mario Bros et ses deux boutons (un pour le saut, l’autre pour la course) peut-il vraiment se retrouver « déclassé » sous prétexte qu’on ne se sert que du pouce de la main droite pour y jouer ? Peut-être faudrait-il relativiser l’usage de ces boutons à l’époque mais nous nous retrouverions alors encore une fois à considérer que le joueur moderne pourrait sans problème terminer notre Super Mario Bros d'une traite. Qui peut le plus peut en effet le moins et après huit boutons et une multitude d’options et de paramètres en tous genres pris en compte, se contenter de courir et sauter devrait se faire sans la moindre difficulté. Pourtant, nous le savons très bien, il n’en est rien et bien au contraire les joueurs de longue date jouant encore ont parfois bien du mal à retrouver leur gloire passée au commande d’anciens jeux !
L’affaire se complique ! Ce ne serait donc pas l’interface mais les paramètres qu’il faudrait prendre en compte ? La réponse sera rapide : l’exemple Super Mario Bros vs Gears of war montre que non. On peut alterner un fusil de précision, une mitrailleuse lourde et une arme de poing au rythme d’une par seconde, viser les têtes ennemies, planqué derrière un muret en béton, tout en s’apprêtant à secourir un coéquipier en détresse et ne plus parvenir à éviter une tortue volante d’un simple saut, cinq minute plus tard en changeant de jeu…
Mais revenons à nos moutons, Wii Sports peut-il être gamer oui ou non ? Si on se base sur les paramètres à prendre en compte, le nombre de commandes ou le temps qu’il est possible d’y passer alors oui. Pourtant au fond de tout joueur ayant un passif, quelque chose titille, comme un étrange sentiment qui nous dit qu’on se trompe. Mais où ?
Voyons donc ce qu’est un jeu : un scénario (ou un prétexte), un objectif, un moyen d’y parvenir. L’objectif et le moyen d’y parvenir ont déjà été évoqués, reste alors le scénario ou le prétexte au jeu. Encore une fois, Super Mario Bros nous montrera qu’un scénario n’est pas nécessaire pour obtenir un titre d’envergure par contre peut-être peut on y voir un indice orientant nos critères de classement.
Ce titre de légende met en scène un personnage, plutôt charismatique, tentant de rallier un point précis en évitant ça et là ennemis et gouffres. Quelque chose a transformé ce qui aurait pu ne rester qu’un jeu casual avant l’âge en un titre gamer. Il est peu probable qu’un objectif soit le point crucial de cette transformation, Wii Sports en ayant un tout aussi anodin. Reste donc Mario et les ennemis/ paysages. Bien des années après sa première sortie, Super Mario Bros se rappelle à la mémoire de ceux qui l’ont pratiqué. Ces personnes se souviennent avec une nostalgie souvent emprunte de regrets, leurs tentatives parfois innombrables pour franchir l’obstacle des mécanismes de feu ou les plateformes s’écroulant, des châteaux de Bowser. C’est avec tout autant de nostalgie qu’ils revoient les tortues koopa sautiller sournoisement entre deux goombas et Mario virevolter des unes aux autres en cumulant des points. Serait-ce là la marque du jeu gamer ? Comment définir cela ? Je pense qu’il est possible de parler « d’univers » ! Un jeu gamer serait donc un titre dans lequel l’univers serait suffisamment développé pour « impacter » le subconscient du joueur ?
On ne parle pas là de scénario ni de cinématiques mais bien de décors, de personnages de ce qui relie les buts fixés par un jeu à leur présence et de la cohérence exercés mutuellement.
Vérifier encore une fois avec l’exemple Super Mario Bros cela semble pertinent mais qu’en est-il d’autres titres ? Wii Sport ne développe quasiment pas d’univers, les MII ne sont pas spécifiques à ce titre, rien ne justifie le jeu, aucune situation ne vient « souder » la présence des avatars aux décors…
Wii Sports ne serait donc pas gamer. Mais un jeu de sport, quel qu’il soit ne peut-il pas avoir les même « lacunes » ? Il semble au contraire que cette « théorie » de l’univers s’accorde également aux jeux sportifs, du moins à une catégorie ! Les épisodes récents des licences Madden, ESPN ou PGA mettent un point d’honneur à proposer des gestions de carrières, de « lodge » et s’affirment de plus en plus par un sérieux indéniable en matière de paramètres à prendre en compte. Couplés à des mises à jours annuelles, totalement inutiles pour certains, absolument indispensables pour d’autres, ces « détails » sont eux aussi les fondations des univers respectifs de tous ces jeux et ce qui en font des jeux gamer. Là ou le fan de plate-forme se souviendra d’un Mario triomphant de Chomps hargneux sur fond de nuages colorés, les fans de sport s’approprieront leurs titres fétiches en rejouant des saisons cultes, en incarnant leurs idoles ou en réparant des injustices d’arbitrages… Un univers est créé et se fige dans la mémoire du joueur au même titre que l’image d’un zombie difforme au détour du couloir d’un vieux manoir ou qu’une séquence catastrophique de mort d’un personnage féminin dans un rpg !
Tout cela semble bien beau mais qu’en est-il alors de tous ces jeux antédiluviens dans lesquels trois pixels blancs se disputaient un écran noir ?
Je dirais : la même chose ! Utilisons à présent l’exemple de Space War, ce jeu « expérimental » précurseur. Voici ce que dit wikipédia au sujet du déroulement d’une partie : « Chaque adversaire dirige un vaisseau spatial pouvant pivoter, accélérer et tirer des projectiles. Un soleil, placé au centre de l'écran, exerce une force d'attraction qui oblige les joueurs à maîtriser leur trajectoire au moyen de leurs réacteurs. Un joueur a perdu lorsque son vaisseau entre en collision avec le soleil ou est touché par un projectile ennemi. Il est très difficile de toucher l'ennemi avec les projectiles du fait de la grande taille de l'aire de jeu et de la petite taille des vaisseaux. Le carburant et les projectiles sont limités, un joueur qui modifie continuellement sa trajectoire orbitale manquera de carburant si la partie dure. Sa trajectoire devient alors prévisible et le joueur adverse peut en tirer profit lorsqu'il le vise. »
On remarque vite que le gameplay du jeu oblige à s’accaparer quelques notions qu’on imagine fidèles à une réalité spatiale comme l’attraction solaire et l’éloignement obligatoire d’un vaisseau qui s’en approcherait. On remarque aussi que des mots clefs étoffent ce même gameplay : trajectoires, projectiles, soleil, carburant, orbite, réacteurs… Ce sont ces mots et ces notions qui semblent capables de créer un univers. Rapproché de la période durant laquelle ce titre fut imaginé, 1960-1962, on comprend aisément qu’il pouvait toucher l’inconscient collectif de toute une population d’alors, avide de science, de fiction et d’espace. N’oublions pas en effet que ces années virent la création de la Nasa (en 1958), l’envoi du premier homme dans l’espace (1961, Youri Gagarine) ou encore la naissance de la premier sonde spatiale (1962, mariner). Le titre avait donc beau être rudimentaire graphiquement, il ne disposait pas moins d’un univers où tous les éléments s’imbriquaient pour parler au joueur et lui laisser un « souvenir particulier » une fois la partie terminée. Il peut être dit la même chose de Space Invaders, produit en 1978 par Taito. L’affiliation au film Star Wars de George Lucas ne fait probablement aucun doute dans les raisons de son succès. Non pas que les deux se ressemblent, mais en pleine effervescence « spatiale » due au film, un jeu mettant en scène des Aliens et un vaisseau devant les détruire ne pouvait qu’apporter satisfaction au fan de jedi en manque de batailles spatiales.
Il semblerait donc qu’une caractéristique principale des jeux casual soit le manque de profondeur de l’univers joué. Wii Sports, Wii Fit ou La série des Wario Ware, même s’ils peuvent être très amusants et non dénoués de grandes qualités, ne seraient donc que des « amuses gueules » voués à être vite joués, vite oubliés. On pourra en garder le souvenir de parties acharnées ou de franches rigolades entre amis, mais il est peu probable d’en garder une image concrète, faite de héros et de situations. Dans cette optique on peut les rapprocher des films « pop-corn » qu’on va voir en fin de semaine pour se distraire mais que personne ne considérera comme des « œuvres ». On ne leur demande qu’une chose : être accessible pour un temps quitte à passer outre une consistance très réduite. Dans la continuité de cette hypothèse, les notions de gameplay réduits favorisant une approche rapide sans avoir besoin de temps d’adaptation, de sessions de jeu courtes favorisant la «rigolade» instantanée sans attendre de crescendo et l’accessibilité à plusieurs prennent tout leurs sens dans une définition globale du jeu casual les incluant !
Article publié le 02/08/2010
Les commentaires pour cet article avant le 23 février 2014
Posté par ShinoBits le 26/09/2011
Belle démonstration l'ami! Tu a su trouver les mots pour définir un jeu "gamer", alors que souvent ce genre d'argumentation ressemble fort à un certain sketch des inconnus, du genre "bah le gamer il joue au jeu tu vois, le casual lui... Bah il joue mais... c'est un casual quoi". Cependant, je pense que c'est vraiment subtil, je connais des gens qui passent des heures à scorer sur des jeux que je définirais comme "casual" (du genre doodle jump... Hahem)et qui ne lâchent pas l'affaire avant d'avoir battu leur record. Leur détermination (alors que moi au bout de 5 min ça me gave) me laisse songeur, car j'avais toujours considéré qu'un gamer était quelqu'un qui passait plus de temps sur un jeu, qui mémorisait, recommençait encore et encore pour atteindre la perfection, et ce quelque soit le jeu... De là à inaugurer un nouveau type de joueur, le "hardcore casual gamer" il n'y a qu'un pas...
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Posté par Tanuki le 06/08/2010
ooh, ben merci bien, c'est un sacré compliment qui me fait vraiment plaisir!!
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Posté par Bakura le 06/08/2010
Juste excellent ce dossier, un plaisir de le lire de bout en bout ! :)
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